Déclarations de M. Heydar Aliyev, Président de la République d`Azerbaïdjan, et de M. Ion Illiescu, Président de la Roumanie, tenues à la conférence de presse qui suivit la signature de documents inter-étatiques et inter-gouvernementaux entre l`Azerbaïdjan et la Roumanie - Palais présidentiel, le 27 mars 1996


Monsieur le Président!

Chers invités roumains, mesdames et messieurs!

Je vous présente mes félicitations à l`occasion de cet événement - la signature de ces documents. Ces documents constitueront une bonne base vers un développement élargi de l`amitié et de la coopération entre l`Azerbaïdjan et la Roumanie.

Au mois de juin de l`année passée, lors de ma visite officielle en Roumanie à l`invitation du Président Ion Illiescu, nous avons abordé une série de questions et signé une série de documents interétatiques et intergouvernementaux. Aujourd`hui commence la visite officielle de Monsieur Ion Illiescu, Président de la Roumanie, en Azerbaïdjan. Nous avons eu des entretiens, discuté en détail une série de questions et un peu plus tôt nous avons signé des documents inter-étatiques et inter-gouvernementaux très importants. Le traité sur les relations amicales et la coopération que nous, le Président roumain et moi, avons signé revêt une grande importance historique. Ceci est un premier document signé entre la Roumanie et la République Indépendante d`Azerbaïdjan, et constitue une base pour le développement de nos relations amicales, pour la coopération de nos pays et de nos peuples sous de multiples formes.

Les documents signés par les ministres ont aussi une grande importance parce qu`ils concrétisent et développent les traités signés par les présidents. Ainsi, il a été signé d`assez bons traités qui seront une bonne base juridique dans les relations bilatérales entre la Roumanie et l`Azerbaïdjan. Cela est le résultat de notre coopération jusqu`à aujourd‘hui. C`est le témoignage de l`indépendance, de la souveraineté et de la liberté nationale de la Roumanie aussi bien que de l`Azerbaïdjan. C`est aussi une bonne base pour le développement des relations entre nos pays et nos peuples.

Ceci a une grande importance surtout pour l`Azerbaïdjan indépendant. L`Azerbaïdjan a acquis son indépendance étatique en 1991 et, au cours des années passées, a dû suivre un chemin ardu pour renforcer et développer cette indépendance. La difficulté du chemin a été liée à une agression militaire de l`extérieur, à des processus politiques qui avaient cours en Azerbaïdjan à cette époque-là, aux difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés et auxquelles nous nous heurtons dans le domaine économique et social. C`est pourquoi des relations d`amitié sincère et forte sont très importantes pour nous et chaque démarche semblable est une preuve de la restauration de notre indépendance étatique, du renforcement de la souveraineté de l`Azerbaïdjan.

C`est pourquoi nous accordons une grande importance aux relations de notre pays avec la Roumanie. Tout ce qui se passe ici, à Bakou, est une étape importante dans l`histoire des relations réciproques entre nos pays.

Monsieur le Président, chers invités, je peux vous assurer que nous allons déployer tous nos efforts pour assurer la réalisation pratique des accords et des accords signés. Nous fondons des espoirs pour que ces documents créent des conditions favorables au développement de notre coopération, et le traité en sera la base juridique. Nous devons nous engager dans une coopération à branches multiples et sur plusieurs plans. En Azerbaïdjan, nous ferons tout pour garantir le développement de notre coopération.

La République d`Azerbaïdjan chérit hautement son indépendance étatique et sa liberté nationale. C`est pourquoi toutes les démarches en direction de leur renforcement sont d`une grande importance pour nous. Nous nous sommes engagés sur le chemin de la construction d`un Etat de droit et sur celui de la démocratie, d`un pays et d`une société progressiste et nous faisons tout notre possible pour que l`Azerbaïdjan arrive au niveau des pays démocratiques et développés. Nous avons entrepris des réformes économiques, nous privatisons à grande échelle les biens d`Etat et établissons les principes de l`économie de marché dans tous les domaines. L`Azerbaïdjan est ouvert à la coopération avec tous les pays. Nous prenons toutes les mesures pour attirer les investissements étrangers dans notre pays dans le but de développer l`économie et d`améliorer les conditions de vie de notre population.

L`Azerbaïdjan est riche en ressources naturelles, son potentiel économique, industriel, intellectuel, est grand. Mais pour exploiter tous ces potentiels dans cette période de transition, nous devons coopérer avec les autres pays, avec la communauté internationale, et nous avons besoin de l`investissement étranger. En allant vers ceux-ci, nous trouverons une stratégie de développement pour l`Azerbaïdjan dans les domaines économique, social, politique et de la construction de l`Etat.

Mais l`Azerbaïdjan se heurte à de grandes difficultés dans la réalisation de ce programme à grande échelle. L`une d`entre elle, la plus difficile, est que nous sommes obligés d`être en état de guerre. Il est connu que l`annexion du Haut-Karabagh, qui consiste à le séparer de l`Azerbaïdjan et à l`unir avec l`Arménie, a été conçue huit ans avant l`agression de la République d`Arménie contre l`Azerbaïdjan. Et cela a entrainé un conflit militaire entre l`Arménie et l`Azerbaïdjan. Les combats ont continué pendant huit ans, le sang a été versé, beaucoup de gens ont été tués, notre République a subi des dommages et un grand préjudice moral. Soumis à une agression militaire, l`Azerbaïdjan s`est trouvé dans une situation grave pour des raisons subjectives et objectives, parce que 20 % de son territoire ont été envahi par les unités armées de l`Arménie. Plus d`un million d`habitants de l`Azerbaïdjan ont été expulsés par la force et ont dû quitter leurs terres, leurs villes, leurs régions et villages désormais occupés. Ils vivent dans divers régions de notre République et dans des conditions très dures, la plupart sous des tentes. Ces gens-là ont perdu leurs parents et tout ce qui leur appartenaient.

Malgré toutes ces pertes, malgré les grands dommages que l`Azerbaïdjan a subi, les préjudices moraux, nous nous efforçons de trouver une solution pacifique à ce conflit, nous avons toujours été contre la guerre dans n`importe quel coin de la planète, contre les agressions militaires, contre toutes les sortes de séparatisme et de terrorisme.

L`Azerbaïdjan adopte une attitude de paix. En nous reposant sur ce principe et en utilisant les compétences des grandes organisations internationales, surtout du groupe de Minsk, de l`OSCE, et de celles des pays qui sont dans ce groupe, des grands Etats comme les Etats-Unis, la Russie, la Turquie, nous essayons de résoudre ce conflit de manière pacifique.

A cet effet, à peu près deux ans avant, au mois de mai 1994 nous avons abouti à un accord et nous avons signé le cessez-le-feu. Il y a deux ans que les opérations militaires sont arrêtées et que le sang ne coule plus. Nous sommes à une étape de conciliation. Il est important que cette conciliation soit respectée par l`Azerbaïdjan et par l`Arménie, sans aucune aide extérieure, sans la participation des casques bleus. Cela montre que nous sommes capables d`aboutir à la paix, d`échapper à l`hostilité et l`opposition qui ont été créées pendant ce conflit de huit ans. C`est pourquoi nous essayons d`aboutir à la paix totale.

En adoptant une position constructive et en faisant quelques concessions nous avons présenté et présentons nos propositions. Je déclare que nous sommes fidèles au régime de cessez-le-feu et que nous n`allons pas permettre un retour aux opérations militaires par le fait de l`Azerbaïdjan. Nous allons faire tout notre possible pour que le régime de cessez-le -feu demeure jusqu`à la conclusion d`une paix totale.

Mais également, désormais nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle - dans cette situation de l`occupation de nos terres. C`est pourquoi nous essayons de conclure un grand accord de paix. A cet égard nous avons présenté des conditions, et ces conditions sont conformes aux normes du droit international. Ces conditions sont les suivantes: l`intégrité territoriale de l`Azerbaïdjan doit être rétablie et assurée, l`integrité territoriale de l`Azerbaïdjan doit être reconnue par tout le monde comme un principe important du droit international, les armées hostiles doivent quitter les territoires occupés, les habitants des territoires occupés doivent rentrer dans leurs foyers, une paix durable doit être établie entre l`Arménie et l`Azerbaïdjan. Nous considérons aussi la nécessité de satisfaire la demande du côté arménien et, sur la base de nos conditions, nous sommes prêts à donner un statut d`autonomie au Haut-Karabagh dans le cadre de l`Etat d`Azerbaïdjan et à garantir totalement la sécurité de la population arménienne du Haut-Karabagh. Nous proposons une paix longue et durable sur la base de ces principes. Ces principes sont conformes aux normes du droit international, aux intérêts de la population de l`Azerbaïdjan, de l`Arménie et mais aussi à la population arménienne du Haut-Karabagh. Ce sont des principes équitables.

J`espère que par l`intermédiaire du groupe de Minsk les entretiens que les représentants de l`Arménie et de l`Azerbaïdjan conduisent actuellement à Moscou et les démarches faites par Monsieur Bill Clinton, Président des Etats-Unis et par Monsieur Boris Eltsine, Président de la Russie, pourront déboucher sur des résultats positifs, c`est-à-dire, à un accord sur les principes de la paix et à la paix même. C`est ce que nous voulons et nous sommes dans cette disposition. Dans sa politique extérieure, l`Azerbaïdjan garde une position pacifique, il plaide pour la sécurité sur toute notre planète et pour une coopération bilatérale et utile, d`une manière réciproque, avec tous les pays. Nous participons de près à l`activité de toutes les organisations internationales et, sur la base de notre position de coopération, de bon voisinage, nous souhaitons faire prévaloir une solution pacifique à toutes les questions discutables et les conflits, nous avons été et nous sommes toujours contre l`utilisation de la force comme solution aux litiges entre les Etats, et nous trouvons que ces questions doivent trouver leurs solutions par la voie de la négociation et sur la base de l`égalité. Dans le monde, personne ne doit pouvoir imposer par la force ses principes et sa volonté à aucun autre peuple. Aucun pays ne doit violer les droits et les intérêts d`autre pays. En nous reposant sur ces principes, nous coopérons dans le cadre de la CEI, de l`ONU, de l`OSCE, et des autres organisations internationales.

La coopération entre la Roumanie et l`Azerbaïdjan, les relations existantes entre nos pays, les documents signés sont des arguments concluants pour une telle position de la Roumanie et de l`Azerbaïdjan. Monsieur le Président, je veux assurer, à vous et à nos invités roumains, à tous les participants qui sont ici, que nous allons nous baser sur ces principes dans notre activité pratique, dans nos relations internationales. Merci beaucoup pour votre attention.

Question: Monsieur Illiescu, au retour de votre visite en Arménie, l`agence Snark a informé que vous avez dit que la reconnaissance de "l`indépendance du Haut-Karabagh" par la Roumanie est, en principe, possible. N`expliquez - vous pas cette nouvelle?

I.Illiescu: Je ne sais pas comment l`expliquer, mais je ne l`ai pas dit. On m`a bien posé une telle question, j`ai répondu que c`est la question de vie. Que le Haut Karabagh soit ou ne soit pas indépendant, c`est une affaire de pratique politique. Mais maintenant la question est autrement posée et nous avons dit que conformément aux principes des relations internationales entre les Etats indépendants, nous suivons avec une grande attention les efforts déployés en vue de trouver une solution pacifique au conflit. Je n`ai rien dit d`autre.

Question: Monsieur Illiescu, selon vous, sur la base de quels principes peut-on résoudre le conflit du Haut-Karabagh?

I.Illiescu: Sur la base des principes que Monsieur Heydar Aliyev vient d`indiquer. Sur la base des principes de la souveraineté et de l`indépendance des pays voisins.

Question: Monsieur Aliyev, récemment, M. Edouard Chevarnadze, Président de la Géorgie, suggérait l`idée de convoquer un sommet extraordinaire des chefs de la CEI pour discuter la décision de la Douma de l`Etat de la Russie d`annuler les accords de Belovejsk. Quelle est votre avis sur cette proposition?

H. Aliyev. Je ne suis pas au courant de l`idée de Monsieur Chevarnadze, je ne l`ai pas entendue. Vous savez, on ne répond pas à une telle question par l`intermédiaire de la presse. S`il existe une telle initiative et qu`elle est formulée officiellement, alors je peux exprimer ma position.

Question: Comment la Roumanie peut-elle participer à la résolution du conflit du Haut-Karabagh? Quel peut être son rôle dans ce processus?

I.Illiescu: Les possibilités de la Roumanie sont minimes. Nous ne pouvons que déployer tous nos efforts pour soutenir les initiatives présentées par les Etats et les organisations internationales pour contribuer au processus de paix. Nous sommes tout à fait d`accord avec les principes que Monsieur Heydar Aliyev vient d`indiquer. La base de ces principes est la solution pacifique à trouver pour cette question. Il est évident que ce conflit ne peut pas être résolu par la voie militaire.

Question: La Roumanie a des problèmes qui ressemblent à ceux de l`Azerbaïdjan; Il s`agit de la Transylvanie. Nous voudrions connaître votre position à l`égard du séparatisme et du problème du Haut-Karabagh?

I.Illiescu: Je pense que la Transylvanie est un antique territoire de la Roumanie, mais pas de la Hongrie. Nos ancêtres y avaient vécu. Avant l`Empire romain, nos ancêtres - l`Etat des Daces - étaient déjà présents. Le centre politique de cet Etat était la Transylvanie. Les Hongrois ne sont apparus en Europe qu`il y a mille ans. Nos ancêtres y avaient vécu pendant des milliers d`années. Quand la Transylvanie fut envahie par les Autrichiens et l`Empire Autriche-Hongrois, la majorité de la population en Transylvanie était composée de Roumains, les Hongrois ne constituaient qu`une minorité.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, conformément au principe de l`autodétermination des peuples, la majorité de la population de Transylvanie, c`est-à-dire les Roumains, a décidé de se réunir avec les autres provinces et de fusionner dans l`Etat de Roumanie, dans un Etat national roumain. Cela s`est passé en 1918. En 1940, selon les termes du pacte Molotov-Ribbentrop, l`Union Soviétique a envahi la Bessarabie, un territoire de la Roumanie, et selon l`ordre d`Hitler et de Mussolini la moitié de la Transylvanie fut donné à la Hongrie. Après la Deuxième Guerre Mondiale, la Transylvanie a été réuni à la Roumanie. Des hongrois y habitent aussi. Mais ils sont une minorité. En Roumanie habitent 23 millions d`habitants, dont 1,7 million sont des Hongrois. En Transylvanie, il y a plus de 9 millions d`habitants. Ainsi, selon toutes les indications, les Hongrois sont une minorité, ils sont 7 % de la population de la Roumanie. Mais ils sont citoyens roumains et ont tous les droits civils et politiques, ils ont des représentants au Parlement roumain, dans les organes des collectivités locales, et ont leurs écoles. On ne peut pas parler d`enclave.

Nulle part dans le monde, ni en Europe, ni en Transcaucasie il n`y a un Etat national absolu. La question est celle des Droits de l`Homme dans la vie démocratique de l`Etat. Il y a des pays où on ne parle pas de minorité nationale. Par exemple, en France il y a une notion, la notion de citoyen. Même l`Africain qui vient du Sénégal ou bien le Maghrébin, quoiqu`il soit Arabe, on le nomme Français, dans son passeport c`est la seule mention qui apparaisse. Dans les autres pays d`Europe, une autre situation historique s`est créée, et c`est pourquoi il existe une politique du droit des minorités nationales. Dans votre région aussi, il y a des questions compliquées dans les relations entre les populations. Chaque pays a sa pratique historique.

Nous sommes hostiles au séparatisme et à toutes les autres sortes de distinctions parce que c`est une grande tragédie. Des gens qui ont habité ensemble au cours des siècles, qui ont lutté ensemble contre les agressions étrangères, ne parviennent maintenant pas à vivre ensemble. Je crois que seul le développement démocratique de chaque pays permettra de normaliser des relations plus humaines entre les gens. Chez nous il y a des partisans du nettoyage ethnique, des nationalistes qui veulent séparer le peuple hongrois et le peuple roumain, des extrémistes, des partisans de la différence entre les uns et les autres. Mais leur intention ne peut pas se réaliser. Chez nous, il y a des centaines de mariages mixtes. A quelle nation appartiennent leurs enfants? Il est probable que des questions semblables se posent chez vous.

H.Aliyev: Monsieur le Président, je veux porter à votre connaissance que 50 à 60 mille arméniennes habitent à Bakou. Leurs maris sont Azerbaïdjanais.

I.Ilieskou: En bref, la vie nous enseignera à vivre dans des conditions normales et humaines.

Question: Monsieur Illiescu, quand se réalisera le projet de corridor de transport entre la Roumanie et l`Azerbaïdjan pour unir les régions de la mer Noire et de celle de Caspienne?

I.Illiescu: Nous avons toujours des liens maritimes avec la Turquie. A Tiflis et à Bakou, nous avons évoqué le prolongement de cette route qui vient de Samsun et de Trébizonde jusqu`aux rives géorgiennes. On peut étendre la route de la mer Noire par le moyen du chemin de fer qui vient en Azerbaïdjan à travers la Géorgie. Vous avez une pratique personnelle avec le Turkménistan. C`est pourquoi il est possible de continuer cette route à travers la mer Caspienne.

Nous nous sommes accordés pour prolonger cette route jusqu`à Poti et Batoumi d`ici à la fin de cette année.

Question: Ma question est posée aux deux Présidents. Est-ce que l`Azerbaïdjan et la Roumanie coopéreront dans le domaine de l`industrie pétrolière et, si oui, cela ne sera-t-il pas entravé par les questions de l`acheminement du pétrole?

I.Illiescu: Il existe une expérience de coopération dans l`industrie pétrolière et de production de ses équipements entre nos Etats. Monsieur le Président Aliyev en a parlé. Mais maintenant notre coopération doit s`établir sur une nouvelle base, conformément aux réalités politiques. Nous devons moderniser cette coopération sur la base de l`économie de marché.

H.Aliyev: Je partage l`opinion de Monsieur Illiescu. Nous avons vraiment une grande expérience en matière de coopération dans le domaine de l`industrie pétrolière. Mais dans ce nouveau contexte, de grandes possibilités apparaissent et nous essayons de les utiliser. 

Traduit du "Heydar Aliyev: notre indépendance est éternelle" (Les discours, les interventions, les déclarations, les interviews)-VI volume, page 25